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Le 30 juillet 2013, le président de l'Irlande a signé une loi
légalisant l'interruption de grossesse en cas de danger pour la vie de
la femme enceinte.
Les autorités politiques d'Irlande ont mis deux ans et demi
pour enfin donner suite à l'arrêt de la Cour européenne des Droits de
l'Homme de décembre 2010. Même 20 ans se sont écoulés depuis la décision
de la Cour suprême irlandaise qui reconnaissait le risque de suicide
comme motif valable pour l'interruption légale d'une grossesse.
La mort tragique de Savita Halappanavar en octobre 2012, a qui, malgré
son état critique, on avait refusé à l'hôpital l'interruption de sa
grossesse, a fait avancer les choses. Les partisans de la libéralisation
se sont mobilisés et ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il
présente enfin un projet de loi.
En juillet 2013, le parlement a adopté la loi par une large majorité.
Les débats ont été accompagnés de protestations et de manifestations des
milieux anti-avortement, les politicien-ne-s ont été inondé-e-s de
foetus en plastique et de lettres de menaces.
Mais la montagne a enfanté une souris.
La nouvelle loi n'apporte rien de nouveau. Elle spécifie simplement la
procédure à suivre en cas de risque pour la vie de la femme enceinte :
deux médecins doivent attester le danger aigu. Si la femme est
suicidaire, il faut l'avis unanime de trois médecins (deux psychiatres
et un gynécologue). Alors seulement l'interruption de la grossesse est
légale. Si cette procédure n'est pas respectée, la femme et l'avorteur
risquent jusqu'à 14 ans de prison.
L'Irlande reste donc, avec Malte, Andorre et Saint-Marin, l'un des
quatre pays d'Europe qui ne permettent pas l'avortement au moins en cas
de risque pour la santé, de malformation foetale ou de viol (comme la
Pologne, le Liechtenstein et Monaco). Tous les autres pays européens
admettent le régime du délai ou au moins des indications sociales.
Plusieurs sondages ont montré que l'opinion publique est bien plus
libérale : entre 70 et 80% de la population désirent que l'interruption
de grossesse soit admise pour des raisons de santé, en cas de viol et de
malformation foetale. Autour de 40%, voire plus, voudraient qu'elle soit
autorisée dans tous les cas.
Les Irlandaises continueront donc à faire le voyage dans d'autres pays
et les discussions vont se poursuivre. Les anti-avortement envisagent de
porter plainte devant la Cour suprême, prétendant que la nouvelle loi
viole l'article constitutionnel qui garantit le droit à la vie à
"l'enfant conçu". De leur côté, les partisans de la libéralisation
visent à obtenir un plébiscite sur l'abrogation précisément de cette
disposition constitutionnelle.
Le 16.12.2010, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans l'affaire A, B et C
contre Irlande, conclut à la violation des droits de la requérante C, dont
la vie était menacée par sa grossesse. La femme avait dû se rendre en
Angleterre parce que les autorités n'avaient pas mis en place une
procédure qui lui aurait permis de faire établir si elle pouvait ou non
avorter légalement en Irlande. Il y avait donc, selon la Cour, ingérence
dans son droit à la vie privée garanti à l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Par contre, la Cour a rejeté, par 11 voix contre 6, les plaintes des
requérantes A et B. Dans leurs cas, il ne s'agissait "que" de leur santé
ou de leur bien-être et elles
avaient eu la possibilité d’aller se faire avorter à l’étranger.
Eu égard aux valeurs morales prévalentes dans
le pays, selon la CEDH, il relevait de l’appréciation de l’Irlande
d’interdire l’avortement pour ces motifs.
L'arrêt de la Cour a suscité des réactions mitigées tant des milieux
pro-choix que des adversaires de la légalisation.
commentaire par A.M. Rey
En 1983, les Irlandais-es ont adopté un article constitutionnel qui protège la vie de l'embryon tout autant que celle de la femme. Il restait cependant dans l'ombre dans quelles circonstances une interruption de grossesse (IG) serait admise.
En 1992, la Cour suprême irlandaise a admis l’interruption de la grossesse d'une fille de 14 ans enceinte par suite d'un viol et qui menaçait de se suicider.
En novembre de la même année, le peuple a adopté une modification de la constitution permettant explicitement aux femmes de se déplacer à l'étranger en vue d'une IG et d'obtenir des informations y relatives en Irlande même. En même temps, un article constitutionnel visant à exclure le danger de suicide comme motif pour l’interruption légale d’une grossesse fut rejeté.
Le 6 mars 2002, la population irlandaise fut appelée à voter à nouveau un référendum pour décider si l'IG devait rester légale en cas de danger de suicide ou si elle ne devait être admise qu’en cas de danger imminent de nature physique pour la vie de la femme enceinte. La question qui se posait aux citoyennes et citoyens était donc de savoir si l’interdiction déjà absolue de l'IG devait devenir encore plus stricte. Le peuple a refusé de justesse.
Pendant tout ce temps environ 6000 Irlandaises par année se déplacent en Angleterre pour obtenir une IG. Le taux d'avortement des Irlandaises correspond à celui trouvé dans les pays qui ont un régime du délai. C'est donc l'hypocrisie totale. L'Irlande exporte son problème.