Avortement - Interruption de grossesse : Pour le droit au libre choix



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Extrait du Courrier USPDA, 5.2.1994

INTERRUPTION DE GROSSESSE ET THEOLOGIE MORALE

Un point de vue féministe

Lors d'une réunion du comité de la Ligue suisse de femmes catholiques, la théologienne fribourgeoise Andrea ARZ DE FALCO a critiqué d'un point de vue féministe la position officielle de l'église catholique en matière d'interruption de grossesse. Ci-après voici quelques extraits de son exposé.

Pourquoi les femmes interrompent-elles une grossesse? Parce qu'elles tombent enceintes contre leur gré. Et pourquoi tombent-elles enceintes à l'ère des contraceptifs, de la libération sexuelle?

Ce sont des questions auxquelles on chercherait vainement une réponse dans les écrits de la morale théologique, où d'autres problèmes sont traités: quand débute la vie humaine, à partir de quand le foetus possède-t-il une âme, à partir de quand doit-il être considéré comme une personne humaine. Par contre on ne parle que peu ou prou de la vie des femmes concernées, de la situation qui a motivé leur décision, des circonstances qui les ont amenées à cette situation. En bref, de tout le contexte individuel et social de l'interruption de grossesse.

Le dogme

La position dogmatique peut être rapidement résumée: l'interruption de grossesse est considérée comme la mise à mort d'une vie humaine innocente. L'Eglise la condamne par l'excommunication. Aucune indication n'est admise. Lorsque la vie de la femme est mise en danger par une grossesse ou un accouchement, on distingue l'interruption directe, toujours immorale, et l'interruption indirecte, lorsque la vie à naître meurt des suites de traitements médicaux nécessaires. Il vaut mieux que deux personnes meurent sans fautes, plutôt qu'un innocent soit tué.

Confrontées à ces exigences, les femmes ne peuvent que renoncer, se sacrifier et obéir, pour agir conformément à la morale.

Théologie masculine

Dans son livre sur l'éthique, le théologien catholique Böckle part du principe que l'interruption de grossesse doit être jugée moralement sur la base de l'interdiction de tuer, puisque "l'être humain dans son existence avant la naissance a la même valeur que celui qui est venu au monde".

Selon Böckle, tuer la vie à naître est fondamentalement équivalent à l'homicide commis sur une personne déjà née. Quelquefois une vie peut se dresser contre une autre. Dans ces cas, il est permis de préférer la vie qui peut être sauvée à celle qui ne peut pas l'être. Dans ses considérations éthiques, Böckle ne voit pas d'autre argument pour légitimer une interruption.

Il faut néanmoins reconnaître que la tradition de la morale théologique a toujours fait la différence entre droit et morale. Il a bien fallu tenir compte du fait qu'une interdiction absolue ne pouvait pas être mise en pratique: les exigences mêmes le la morale seraient enfreintes.

Objections féministes

Une interruption de grossesse est très rarement irréfléchie. Décider pour ou contre une grossesse a toujours une importance existentielle pour une femme. La littérature théologique fait entièrement abstraction du corps de la femme lorsqu'elle parle du foetus. Comme si le processus du développement foetal n'était pas biologiquement dépendant de la vie de la femme enceinte.

La grossesse est un processus actif qui demande acceptation, engagement et coopération. L'interdiction de tuer ne peut être retenue comme seule approche, dès lors que la dépendance spécifique entre femme et foetus est reconnue. Dans son application de l'interdiction de tuer, Böckle ne se réfère qu'à la dignité de l'être humain dans son existence avant la naissance, il ne tient pas compte de la dignité de la femme et de ses enfants déjà nés.

Une éthique de vie

Böckle reconnaît que tuer n'est pas interdit de façon absolue. Les circonstances qui portent à cet acte, la faute ou innocence de la personne tuée sont prises en considération dans son argumentation. Par contre, lorsqu'il s'agit d'une interruption de grossesse, il oublie pratiquement l'impact des circonstances sur le jugement moral.

Une éthique de vie devrait aussi tenir compte d'arguments plus étendus comme la qualité de vie, la vie familiale avec les enfants, etc. L'Eglise ne s'interroge pas sur les conséquences de son jugement dogmatique. Une femme enceinte contre son gré doit porter l'enfant à terme en toute circonstance. Un tel comportement est-il toujours moralement juste? N'est-ce pas favoriser une éthique qui demande passivité et sacrifice de la part de la femme, alors que l'on devrait plutôt se préoccuper de libérer hommes et femmes des conditions qui les oppriment?

La morale traditionnelle demande aux femmes d'adhérer à un idéal de sacrifice personnel. Il faut répondre strictement NON à une morale qui néglige de dénoncer l'immoralité de structures injustes. Un sacrifice ne doit pas être la conséquence d'une impuissance sociale, par contre l'expression d'un amour profond.

Le processus de décision féminin doit être pris au sérieux. Les femmes ont le droit et le devoir de considérer leur propre bien-être comme un bien moral. On ne peut leur enlever la compétence d'évaluer, dans le contexte global de leurs relations, de leurs responsabilités et de leurs engagements, les valeurs et les principes essentiels qui entrent en ligne de compte lorsqu'elles doivent décider d'interrompre ou non une grossesse.

Le contexte social

Comment éviter qu'une grossesse ne soit interrompue pour des raisons inacceptables? Certainement pas par des interdictions pénales mais en maintenant très haut la valeur de la vie dans notre société. Böckle part de considérations fausses en admettant implicitement que les femmes ont une liberté de choix totale dans leur comportement sexuel et ses conséquences et qu'elles ont à leur disposition des moyens contraceptifs suffisamment sûrs.

Une théologie qui voudrait être équitable en matière d'interruption de grossesse devrait aussi englober une analyse du contexte social dans lequel a lieu l'interruption avant de porter un jugement moral. Elle devrait ne pas seulement prendre en considération des mesures pénales mais aussi des mesures sociales et légales qui contribuent à soulager ou à éliminer la détresse et les injustices sociales.

Le but n'est pas de justifier ni de condamner l'interruption de grossesse, mais de la surmonter. Dans un monde idéal, l'interruption de grossesse ne devrait plus être nécessaire.

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